Aujourd’hui, il aimait pour la première fois

Publié le par Kitou

 

Voici l’histoire du soleil, qui s’ennuyait de regarder la Terre de si loin. Il éclairait tout l'univers de son rayonnement extraordinaire. De son oeil flamboyant, il remarqua au fil des jours une agitation grandissante à la surface de la Terre, son enfant turquoise, comme il aimait l'appeler.

 

Il envoya quelques-uns de ses rayons les plus chatoyants et vigoureux pour y voir de plus près. Ces flammèches arrivèrent dans l’atmosphère mais, soudain moins sûres d’elles, s’éteignirent aussitôt. Il ne pouvait participer de plus près aux paysages verdoyants qu’il réchauffait depuis tant d’années. Il eut l’idée d’entourer ses gouttes de feu de coques hermétiques. Ce fut une fort belle idée, car en plus d’y prendre goût, elles y prirent corps. Pour ces flammes emprisonnées, ce fut une sensation inédite. Chaque rayon ainsi formé prit une couleur différente de l’arc-en-ciel. Ensemble ils étaient magnifiques, mais sitôt arrivés sur terre, ils se dispersèrent. Intéressons-nous à l'un d’entre eux. Cette nouvelle forme dense permit à notre rayon d'entrer en contact avec ce monde. Sans cela, il lui aurait été impossible de voir, d’entendre, de ressentir, d’humer, de goûter, de se diriger sur cette Terre. Il s'y sentit bien, là, debout en appui sur ce sol minéral. Attiré par toute la beauté du monde extérieur, il finit par oublier d’où il venait. Les jours passant, il perdit peu à peu son énergie, et finit par entendre son ventre gargouiller. Il n’était plus perpétuellement nourri comme par le passé. Il devait trouver un moyen de répondre à ses besoins. Ce fut chose facile car aussitôt le règne végétal se découvrit à ses yeux. D'abord surpris par cette apparition, elle devint vite un ravissement pour ses sens, et pour son ventre ! Ses papilles ne furent pas en reste.

 

Les jours passaient. Il dansait, courait, se roulait, humait. Cependant, une insatisfaction commença à se faire sentir. Son corps avait de quoi se sustenter, mais entre pierres, fleurs et arbustes, il ne se sentait pas entièrement comblé. Une nourriture abondante répondait aux besoins de son corps, mais il sentait qu’il n’était pas entier ; il ne ressemblait d’ailleurs ni à une fleur, ni à un rocher ! Il avait conscience d'être davantage. Pour la première fois, cela l'émut. Il avait déjà fait l'expérience du froid, du chaud, de sensations diverses et variées dans son corps, comme la faim, mais là, venue de nulle part et en même temps de lui-même, il ressentit une émotion. Au même moment, il se trouva nez à nez avec un animal, puis deux, puis plusieurs, comme si l'ouverture à ses émotions lui révélait un monde plus riche et abondant, habité par toutes sortes d’espèces. Ces animaux étaient là depuis longtemps, mais il ne les avait pas vus. Il sentait qu’il vibrait avec ces nouveaux êtres. Il passait des jours entiers avec eux, et des nuits aussi, car certains ne se rendaient visibles qu’à l’obscurité. Il était parfois très emballé, et parfois aussi inquiet. Ses émotions lui firent oublier son propre corps qui s'en trouva assoiffé, égratigné, et parfois même un peu malade. Il imputa ces déséquilibres nouveaux à l'arrivée aux commandes de ses émotions. Il apprit à s’occuper des deux, de son corps physique et de son corps émotionnel, même si le dernier venu semblait vouloir tout régenter. Il appréciait la richesse de ce qu’il était devenu, car les relations qu’il entretenait avec ces animaux étaient merveilleuses.

 

En faisant le constat de tous ces moments de partage, il fut pris d'un doute : et si je me retrouvais seul, comme au début ? Tout d’un coup, un flot d’idées étranges lui traversa la tête, encore plus nombreuses que les gouttes de pluie qui lui étaient tombées sur la tête un jour où le ciel semblait furieux ! Il fut surpris que sa tête, ce si petit endroit, fusse aussi remplie et active. Il observait ces pensées qui défilaient, plus nombreuses encore que les envolées d’oiseaux qu’il avait vus jusqu’ici. Et là, aussi soudainement que les fois précédentes, il se retrouva face à d’autres êtres comme lui ! Il en resta perplexe, eux aussi d’ailleurs. Il ne savait plus si c’était lui qui était devenu perplexe en les voyants, ou si c'était le fait d’être vu comme perplexe qui le rendait perplexe. Ce doute resta longtemps présent dans son esprit : qu’est-ce que j’ai fait, ou qu’est-ce que je n’ai pas fait pour qu’ils me regardent comme cela ? Les animaux ne m’avaient jamais regardé ainsi, et les fleurs encore moins ! Il regretta d’avoir pensé qu’un jour il pourrait se retrouver seul, et cela le mit en colère. Aussitôt d’autres pensées, d’autres émotions, d’autres, d’autres… Il fut finalement fatigué de tout ce qui se jouait en lui. Il ne se savait plus qui commandait quoi. Il décida de se reposer. Cette nuit fut particulière : il rêva qu’il fabriquait des cabanes avec ces êtres humains, et que sa vie en était radicalement transformée. Il voyait bien qu’il ne pouvait plus revenir en arrière. Il se dit que l'innocence avait ses avantages, qu'elle générait moins de soucis. Cependant, au contact de ces humains, il partageait davantage, parlait, et prenait beaucoup de plaisir à varier les sons qui sortaient de sa bouche ! C'était une sensation étrange, mais appréciable.

 

Après avoir côtoyé ces gens pendant plusieurs jours, il fut habité par une sensation inconnue. Il avait déjà par trois fois fait l'expérience de cette sensation dans le passé, qui avait généré en lui une forme de curiosité et d'excitation. Sans que rien n'aie changé autour de lui, il percevait les choses différemment. Le monde lui sembla de moins en moins hostile, il se prit à sourire spontanément, seul ou en présence des autres. Il se mit à percevoir davantage de couleurs autour d’eux, à ressentir de la chaleur dans son coeur à leur contact. Un jour, une petite voix chuchota en lui un mot qu'il n'oublierait jamais : l'amour. Il en tressaillit de frisson ; pour la première fois il mettait un nom sur cette sensation. Il se souvint qu’au début, il aimait prendre ce qui se trouvait dans la nature, il aimait manger, courir, être au contact des autres, cela lui faisait du bien. A présent, il sentait en son for intérieur qu’il ne pourrait plus consommer ainsi, et il éprouva un profond respect pour chaque chose, pour chaque être. Il ne pouvait plus manger sans reconnaître la valeur de l’aliment, sans se laisser pénétrer par sa beauté, sa richesse. Il ressentit dès lors une éternelle reconnaissance pour tout ce qui venait à lui. Il remerciait chaque objet dans son coeur. Ce qu’il ne mangeait pas, il le reposait à l'endroit où il l’avait pris ; et c’est comme si la terre lui souriait. Il trouvait naturel que chaque chose revienne à sa juste place, il comprit pourquoi les feuilles des arbres atterrissaient à leurs pieds pour nourrir la terre à leur tour. Il avait jadis remarqué cette connivence entre les arbres, mais il n'en avait jusque là pas saisi le sens. Il observait cette synergie avec fascination. Le verbe « posséder » n'avait plus aucun sens à ses yeux, rien ne lui appartenait, le monde était abondant et pourvoyait à chaque instant à ses besoins physiques.

 

Au contact des animaux et de certains humains, il se souvint des émotions qui l’avaient traversé : peur, colère, passion, affectif... Cela ne résonnait plus en lui aujourd'hui. Il était habité par de profonds sentiments et une sensibilité accrue à son environnement. Il percevait mieux ce qu'était l'Amour. Il trouvait extraordinaire les sensations qu’il éprouvait au contact de son environnement. Il eût même l'impression, en observant une magnifique fleur avec laquelle il vibrait pleinement, que celle-ci lui rendait la pareille. Il lui sembla en tout cas que ces sentiments étaient bien tangibles chez les animaux et chez certains humains. Certains humains seulement, les autres étant trop préoccupés par leur corps, par le besoin de posséder. Ces derniers ne semblaient pas vouloir entrer en relation avec autrui, tout en croyant étrangement être dans la relation. Ceux-là, il ne les voyait jamais passer du temps seuls en étant paisibles ; c’est comme s’ils couraient tout le temps. Il les regardait cependant avec bienveillance dans leur agitation. Un jour, l'un d'entre eux s'arrêta quelques instants pour le regarder. Il prit rapidement la fuite, un peu chamboulé. Cela lui rappela un moment de son passé, un jour où lui-même était parti en courant.

 

Son mental était apaisé. Il n’y avait plus toutes ces pensées qui couraient dans sa tête comme au début. C'était devenu un endroit calme. Plus il donnait d’espace à cet endroit, plus il avait des idées. Mais ce n’étaient pas les mêmes qu’autrefois. Ces idées créatives qui le traversaient s’installaient paisiblement en lui. Il sentait pour la première fois que sa vie avait du sens, qu’une direction se dessinait, qu’il allait vivre de nouvelles expériences. Autrefois il pensait avoir des solutions pour tout, il avait des convictions, des idéaux ; parfois même il voulait les imposer aux autres. Il mettait beaucoup d’énergie pour y arriver, et pensait avoir réussi sa vie. Il avait d’ailleurs une position sociale intéressante et les personnes de son entourage semblaient le respecter pour cela. Il avait vécu cela comme un combat, qui appartenait au passé, une vision des choses qui lui semblait désormais bien égoïste. Il sentait cependant qu'il lui avait été nécessaire de la vivre pour ressentir sa plénitude actuelle. Les idées qui lui venaient semblaient ne plus jaillir de lui-même ; toute cette créativité ne le concernait d'ailleurs pas. Elle avait trait aux autres, au monde en général, et c’était un sentiment étrange que de se voir relégué au second plan. Pourtant il sentait que c’était la direction à prendre, l’état d’esprit juste.

 

Cette voix intérieure se fit plus intense. Parfois il ressentait de la chaleur dans son coeur, dans son ventre, dans tout son corps. Il vivait une sensation d’unisson. Chaque partie de son corps était devenue un coéquipier infaillible, lui livrant les outils nécessaires pour oeuvrer dans ce monde. Curieux, il voulut découvrir ce qu’il y avait au-delà de cette voix. Il crut alors apercevoir une lumière, comme une flamme ; ce n’était pas un feu qui brûle mais un feu vivant ; ses yeux se mirent à verser des larmes de joie. L'espace d'un instant il reconnut sa famille d’origine, et un immense océan d’amour le saisit, un soleil intérieur se réveilla. Une pensée lui vint alors comme de l'extérieur : rejoindre cet endroit magnifique d’où il venait. Aussitôt, un sentiment contradictoire se fit sentir. Une autre voix, plus proche de lui dans sa vibration, comme un souffle chaud, lui laissa entendre que grimper davantage n'était plus nécessairement la bonne voie, qu’après ce contact avec ses origines, il devait désormais distribuer cet amour dans le monde. C’est en bas que la vie se passe, il y serait guidé pour oeuvrer pleinement. Pendant quelque temps, accepter de revenir vivre au milieu des siens pour y apporter joie, partage, connaissance et amour, lui sembla un défi difficile à relever, tant il se sentait transporté par ce qu'il venait de contacter. Il prit le temps de se concentrer. D’autres humains semblaient faire de même ; certains avaient choisi de vivre la tête en l’air ; d’autres ne l’avaient pas encore levée et restaient la tête en bas. Il sentit le décalage entre ces deux attitudes. Après quelque temps, tout son être s’aligna sur cette volonté qui le dépassait. Il sentit pour la première fois qu’il allait s’engager dans la vraie vie. Il contacta alors un amour nouveau, bien différent encore de tout ce qu'il avait déjà ressenti. Il se sentait porté par un soutien indéfectible, comme un amour puissant. Tout son être répondit alors d’un seul coeur : « OUI ! Je suis prêt ! Je vais oeuvrer pour répondre au mieux à ce plan que je ne connais pas encore. » Il savait au fond de lui que ce plan allait apporter unité et amour aux humains, aux animaux, aux végétaux, aux minéraux, à la Terre toute entière.

 

Il se souvenait qu’autrefois il avait pour habitude en début d'année de souhaiter ses voeux aux personnes qui l’entouraient. Parfois il s’engageait avec lui-même afin d’améliorer tel ou tel aspect de sa vie. Cela ne durait pas très longtemps, car il était dans l'effort. Il se trouvait finalement bien égoïste car cet engagement n'avait pour but que de s’améliorer lui-même. Aujourd’hui c’était bien différent. Il savait que ce « oui » d’engagement s'était réalisé à la seconde où il l'avait prononcé. D’ailleurs tout ce qu’il dirait par la suite se réaliserait instantanément. Il vivait le moment présent comme jamais. Le regard qu’il portait sur les autres avait totalement changé. Il parlait beaucoup moins. Il ressentait de la compassion. L’amour était son moteur, la joie et la sérénité son expression. Il ne se souciait plus de ce qui n'allait pas, il remettait cela entre les mains de la vie, et se concentrait sur sa mission. Parfois il ne savait d’ailleurs pas ce que la vie lui réservait pour le lendemain. Une confiance et une foi indéfectible l’habitaient à présent. Aujourd’hui, il aimait pour la première fois.

 

Christophe MEIGNEN

Publié dans textes d'autres

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